Mise à jour le 30 juin 2023
Présentation

Espaces, paysages, littérature de voyage
 

Cet axe se situe dans le prolongement d’un séminaire pluri-annuel sur la littérature de voyage qui s’est donné comme objet d’étude les regards croisés de voyageurs européens et américains sur les différentes aires linguistiques et culturelles de l’espace européen et des amériques représentées au sein du laboratoire. Après le voyage en Italie, en Allemagne, dans les îles britanniques et dans l’aire hispanophone, nous aborderons le voyage dans l’aire lusophone et en Scandinavie.

Nous nous proposons d’élargir la réflexion au processus d’écriture qui conduit de la simple perception d’un espace naturel à la création d’un paysage comme construction humaine. Nous envisagerons le récit de voyage comme genre hybride oscillant entre récit factuel et fictionnel et les contaminations entre les genres fictionnel et viatique.

Nous nous intéresserons également au mouvement de reterritorialisation de la parole poétique (géopoétique) étudié par exemple par Christine Baron (« Littérature et géographie : lieux, espaces, paysages et écritures », Fabula-LhT 8, 2011), et au champ émergent des études de la littérature dans ses rapports avec l’environnement naturel (écopoétique et écocritique) exploré entre autres par Pierre Schoentjes (Ce qui a lieu, 2015).


Direction de l'axe: Michèle Vignaux et João Carlos Vitorino Pereira 

Programme 2023-2024

Paysage et écriture
 

• Le voyage dans l’aire lusophone (Brésil, Portugal…) : premier semestre 2024

• Le voyage dans l’aire scandinave (Danemark, Suède…) : deuxième semestre 2024


Les spécialistes de la littérature environnementale, comme Pierre Schoentjes ou Michel Collot, s’accordent à dire que le Romantisme marque un tournant dans le regard porté sur la nature. La littérature romantique ou régionaliste, classiquement ancrée dans un territoire, fournit, comme la littérature viatique bien sûr, et le genre mémorialiste, un vaste corpus de textes permettant de travailler sur des espaces, des paysages ou sur la mémoire des lieux qui, comme leur perception, changent avec le temps. Le lieu investi par la littérature demeure le même sans être le Même, puisque sa description littéraire modifie le regard porté sur lui, ce qui conduit à interroger le rapport entre la littérature et le monde référentiel, entre le monde livresque et le monde réel, entre l’expérience livresque et l’expérience directe d’un lieu. Dans Ce qui a lieu – Essai d’écopoétique (2015), Pierre Schoentjes démontre, en outre, que la littérature permet de renouer avec un lieu dont elle laisse une trace et peut ainsi contribuer à la valeur ajoutée patrimoniale d’un lieu. Un travail de recherche sur les espaces et les paysages pourrait être l’occasion de relire, dans une perspective écopoétique, des auteurs fortement ancrés dans un territoire.

Plus récemment, le lien entre paysage et écriture a donné lieu à l’approche écocritique venue des États-Unis qui a ajouté à la littérature environnementale une ouverture sur la société, avec les enjeux majeurs que constituent la défense de l’environnement et l’éveil de la conscience écologique. Cette littérature présente généralement une forte dimension politique, contribuant ainsi au renouvellement de la littérature engagée, et aussi une dimension utopique, la nature y étant volontiers présentée comme un paradis perdu qu’il faut retrouver en renaturant l’être humain.

À un moment où l’on invite les chercheurs à mener des recherches ouvertes sur la société, qui est de plus en plus soucieuse d’environnement, un travail de recherche sur les espaces et les paysages pourrait consister plus particulièrement à mettre en évidence des lieux emblématiques d’une œuvre ou d’un auteur, ce qui pourrait induire des retombées pratiques. Pierre Schoentjes, dans Ce qui a lieu – Essai d’écopoétique (2015), et Michel Collot, dans Un nouveau sentiment de la nature (2022), soulignent la contribution que la littérature peut apporter à la valorisation ou à la préservation d’un lieu ; en valorisant ce dernier, elle se valorise elle-même aux yeux du grand public.

Le récit de voyage est un genre qui répond au « double objectif d’être à la fois […] documentaire et littéraire, scientifique et poétique », note Guillaume Thouroude (La pluralité des mondes – Le récit de voyage de 1945 à nos jours, Paris, P.U.P.S., 2017, p. 10), et les « contaminations entre les genres fictionnels et les genres ‘viatiques’ » sont bien connues, comme le rappelle Alain Guyot (« Du voyage à ses récits : mettre le monde en intrigue », (in Philippe Antoine et Marie-Christine Gomez-Géraud (dir.), Roman et récit de voyage, Paris, P.U.P.S., 2001, p. 205). Le récit de voyage se caractérise par son hybridité générique, autrement dit son oscillation entre le récit factuel et le récit fictionnel, et comme le fait remarquer Véronique Magri-Mourgues, « Le récit vise à l’universel par une entreprise de généralisation qui le fictionnalise. » (Le voyage à pas comptés – Pour une poétique du récit de voyage au XIXe siècle, Paris, Honoré Champion, 2009, p. 123). À cela s’ajoute l’hétérogénéité lexicale : « […] la variété lexicale du récit de voyage s’explique par les divers domaines que ce type de récit se doit de parcourir ; les mots étrangers voisinent avec les termes techniques ou spécialisés qui servent à décrire le monde découvert et ses autochtones. » (Véronique Magri-Mourgues, op. cit., p. 132). Ainsi le récit de voyage peut-il se concevoir comme « un laboratoire d’écriture » où il est possible, d’après Sophie Linon-Chipon, de mobiliser « toutes les techniques narratives » (« Certificata loquor – Le rôle de l’anecdote dans les récits de voyage (1658-1722) », in Philippe Antoine et Marie-Christine Gomez-Géraud (dir.), op. cit., p. 197), ou comme « le prototype de l’œuvre littéraire », d’après Véronique Magri-Mourgues (op. cit., p. 170).